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Tendre jeunesse

La connaissance "doit constituer de toutes pièces ses phénomènes sur le plan retrouvé par l'esprit en écartant les parasites, les perturbations, les mélanges, les impuretés, qui foisonnent dans les phénomènes bruts et désordonnées"

(Bachelard, "Noumène et microphysique")
Paolo Vignola 17/08/2015 Académie d'été

J’ai entendu dans mon enfance le chant du ruisseau. Je vivais alors sur une île - Non pas une île dans la mer ou dans des lointains océans. En fait notre île, dans une petite ville du nord est de la France, se situait là la rivière que l’on appelle la Plaine se divise en deux bras pour mieux nous entourer. Les deux parties se séparant juste avant notre maison pour passer, l’un par derrière et l’autre en s’écoulant sur le coté. L'arrière de maison avait les pieds dans l’eau qui arrivait vers nous en passant sous une sorte de pont chemin sous lequel on levait ou abaissait deux vannes dont l’ouverture variait avec la force du courant.

Ce bras assez large mais peu profond laissait voir son fond de grès sablonneux, de galets polis, et partout de nombreuses langues d’algues vertes qui serpentaient dans le courant sous lesquelles se cachaient de petits poissons chat aux yeux globuleux. La vanne dans sa bouche entrouverte  alimentait sans cesse le bras d’eau qui chantait comme un ruisseau et le courant en été soulevait des myriades de petites vaguelettes d’écume brillantes, étincelantes dans la lumière du soleil. La nuit on entendait distinctement le courant, il berçait  le sommeil en continu. L'autre bras glissait sur le côté de la maison contre une faible bordure en terre battue complétement minée part les rongeurs de toutes sortes, ce bras filait derrière ce que l'on appelle encore :"Les Coquilles" un ensemble hôtelier futuriste de chambres d'hôte en formes de coquillages. C'est sur cette partie de la rivière que je découvris très tôt la vie - de gros rats blancs coulant sous les algues, des petits poissons étranges, difformes, des vipères d'eau qui filaient près de nos pieds nus dans l'herbe le long du bord, les nids d'orvets au corps glacés qui cassaient dans nos mains, couleurs acier sous des tôles abandonnées surchauffées par le soleil.

Quand venaient les fortes pluies, le déversoir de la vanne abaissé au maximum dégorgeait en cascade sur les côtés, l’eau se ruait littéralement sous la petite passerelle, nous enfants terribles du dehors étions penchés au maximum le ventre collé à la fine rambarde en acier glacée scrutant avec un peu d’effroi les flots tumultueux, bouillonnants, tourbillonnants qui filaient au-delà du pont entre deux grandes maisons. Un peu plus loin les deux bras se rejoignaient, la rivière s’élargissait, pour s'en aller vers la rue des canards. En temps normal elle était là, presque immobile formant en son milieu un petit banc de cailloux comme une nouvelle île. Par gros temps, on suivait le niveau de l’eau qui montait dangereusement jusqu’à l’inondation. Pluie, Plaine capricieuse jamais silencieuse.

Dans le brouillard froid, notre maison devenait une maison d’estampe transparente et dans cette eau humide et froide, il n’y avait pas de paresse ni de langueur car elle était comme nous toujours en mouvement, une eau liquide, fluide qui racontait sans cesse des rythmes différents. On la suivait, un point c’est tout. Partout autour de la ville, je la retrouvais, fidèle compagne qui n’abandonne jamais les siens, toujours chevauchant à ses côtés. Et l’on voyait souvent prés d’elle, un être rêveur qui lui parlait, car l’eau est au centre de l’expérience, elle continue à bercer le rêveur quand il repose sur la berge ou bien encore un malheureux qui lui jetait des cailloux.

Les nuits d’hiver,  le long des rues grises, dans le froid glacial, elle redevenait une ombre noire avec parfois de grands éclairs blancs, on l’entendait mais on ne la regardait pas de peur que nos pensées souvent morbides ne se laissent aller, attirées emportées avec les eaux noires pour se perdre plus loin. On marchait en silence les mains au fond des poches le sang glacé par le gel qui dur comme la pierre aurait voulu nous figer sur place. Une brume bleutée sortait de notre bouche, fumée naturelle du corps qui lutte dans le grand hiver.

Au matin des grands froids, au dehors dans la bise gelée, des stalactites  pendaient des gouttières, dangereux pics à glace suspendus. La rivière entièrement figée miroitait comme du marbre blanc. Alors on jetait des pierres qui rebondissaient en griffant la surface signe d’une épaisseur suffisante qui nous encourageait à la franchir. Les vieux emmitouflés dans de grandes écharpes de laines passaient en nous regardant glisser sur la glace, les sapins tout autour sur les collines étaient toujours blancs comme dans les contes de Noël. L’après-midi, nous partions à l’assaut de la colline enneigée, le froid pinçait nos doigts de mains et de pieds, nous avions les joues rougies des enfants insouciants. Avec nos luges fardées au gras du lard nous dévalions la sente fraîchement damée et nous n’avions peur de rien. Le cœur se serrait juste un peu au moment du passage étroit prés d’un grand charme, il fallait bondir sur la bosse de ses racines pour aller au-delà sur la piste. Et puis au bas de la piste nous remontions encore et encore la pente, les jambes enfoncées jusqu’au genou dans la neige fraîche. En ces temps là, la forêt était une légende, les grands hêtres centenaires se dressaient majestueusement vers le ciel, les épicéas retenaient la neige sur leurs branches toujours vertes au bout desquels pendaient des perles de glace. La neige blanche immaculée recouvrait tout, elle étouffait aussi tous les bruits. Nous étions les hôtes de la forêt, espace vital préservé qui nous abritait, nous protégeait. Je pourrais t’en parler pendant des heures, de ces expéditions sans cesse renouvelées dans les saisons.

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