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vendredi 18 mars 2022

Nuit profonde


 Après une nuit profonde il se réveilla au son du rouge-gorge qui annonçait peut être enfin le début du printemps, mais le froid était encore vif, dans son petit studio Luc ne possédait pas grand-chose ; il enclencha l’interrupteur du radiateur à bain d’huile hérité d’une lointaine grand-mère et en attendant que celui-ci veuille bien monter en température, le nez blotti sous les couvertures il fit l’inventaire du matériel qu’il emporterait. Allez, il ne fallait pas traîner une bonne heure de marche était nécessaire pour arriver à la grotte comme il l’appelait désormais. 



Au bas de son armoire il retrouva son sac bourré de presque tout le matériel dont il allait avoir besoin : La corde nouée en écheveaux, les mousquetons, une dizaine de pitons et un marteau et bien sur son échelle de spéléo ; le matériel  n’avait pas bouger depuis septembre quand avait eu lieu la dernière sortie avec le club de spéléo, c’était déjà loin tout çà maintenant, depuis ce temps, ayant définitivement misé sur la solitude il n’avait revu personne du club. Bon maintenant se dit-il en buvant son café bouillant à petites gorgées - Ne reste plus que le petit matériel à inventorier dans les moindres détails ; tout était là à ses pieds devant lui étendu sur le sol ; le casque, sa lampe frontale, une lampe torche supplémentaire, une couverture de survie en alu qui ne prenait pas plus de place qu’une serviette de table pliée, une bougie, un briquet , un gros Opinel qui se révélait parfois un outil  indispensable pour creuser et puis bien sûr aussi quelques rations alimentaires riches en calories dont la fameuse boite de sardines bien connue du spéléo, une chose était certaine:  pas besoin d’emporter d’eau.. En nouant les lacets de ses grosses chaussures de marche il réfléchissait, n’avait-il rien oublié ?

Déposant le  sac bien remplit dans l’entrée il jeta un petit coup d’œil au dehors, tout était calme personne dans la rue,  sortit rapidement,  sa voiture était garée juste devant chez lui, balançant son sac sur le siège arrière il ne mit pas longtemps à démarrer et laisser derrière lui le village à peine réveillé qui émergeait à peine de la brume du matin secrétée par la rivière toute proche.

Après une demi heure de route , il gara la voiture à l’abri des regards indiscrets,  en sortant de la voiture le froid vif le fit frissonner; le printemps avait beau s’annoncer, une mince couche de givre recouvrait encore le sol, un soleil blafard peinait à percer le ciel qui était de plus en plus blanc. Après avoir vérifié une dernière fois son matériel,  il se mit en route en faisant taper sur les cailloux calcaire son bourdon .

C’était un jour étrange, nul oiseau ne chantait, les arbres encore dénudés de feuilles faisaient triste figure et la brume qui montait de la rivière cachait la colline d’en face. Tout entier concentré sur son but il n’aurait pu dire s’il se sentait bien ou mal, animé de la volonté de découvrir il laissait aller ses pas sur le chemin, rien vraiment ne retenait son attention.

Seulement quand il arriva sur la partie escarpée de la falaise au moment même ou son esprit était le plus occupé à penser à la technique qu’il emploierait pour explorer le trou, sa réflexion se trouva brusquement interrompue par la vue d’un arbre inattendu qui se trouvait au milieu du chemin avec des fruits rouges qui répandaient une odeur agréable ; mieux valait se reculer pour l’observer.

On aurait dit un sapin mais comme celui-ci diminue en s’élevant de branche en branche ; cet arbre au contraire s’amoindrissait à mesure qu’il se rapprochait du sol ; il se dit en riant que c’était peut être pour que personne n’y pu monter. Luc goûtait cette vision magnifiée par le soleil, les rayons qui frappaient la falaise, et l'onde claire tombant d’un rocher baignant les feuilles de l’arbre mystérieux.  Ces moments étaient semblables à une perte de connaissance.

S'asseyant sur les pierres pour mieux repenser à tout ce qui faisait son présent , lui qui maintenant ne vivait plus dans le passé, certes bien sure il pouvait penser aux millions d’hommes qui ont vécu et se demander qui ils étaient ? Et ce qu’ils étaient devenus ?  Tous les voyages magnifiques  qu’il avait fait en Europe ou en Asie, Jérusalem, l’ancienne Grèce jusque sur les lieux du célèbre penseur d’Éphèse ; rien ne pouvait lui ravir ce présent qu’il possédait  à ce moment précis comme un bonheur.  
     
Cet arbre devait être une sorte d’oracle entre la lumière et l’ombre et ses fruits aux couleurs vives une tentation pour beaucoup, personne ne semblait les avoir cueilli pas même les oiseaux ; Alors il le vit comme un piquet de séparation, un signal presque qui se trouverait à la frontière, soumis à la force du soleil ardent et attentif à contempler l’ombre.

Vois-tu il est comme dans ces tableaux de Chirico ou la clarté se trouve dans la zone du temps à venir au-delà du présent tandis que l’ombre est déjà passée ; la démarcation entre les deux est l’instant éternel ou vit l’homme, le philosophe, les êtres ordinaires sont à l’abri de la structure architecturale, ils peuvent se promener sous les portiques dans la lumière réfléchie sans percevoir l’énigme du temps, se pencher vers le futur sans la moindre conscience du passé.
 C’est dans ce monde Dionysien  de l’éternel retour que Luc évoluait, en pensant à des temples consacrées à des divinités marines  élevés le long des côtes arides de la Grèce et de l’Asie mineure, en imaginant des vaticinateurs attentifs à la plainte des flots se retirant le soir de la terre adamique le corps serrée dans leur chlamyde, attendant l’oracle mystérieux et révélateur. Ainsi il se vit comme l’Ephèsien méditant dans la première lueur de l’aube.

 Mais bien vite il s’ébroua comme un jeune chien qui sort de l'eau; à quoi servaient ces pertes de temps, à quoi bon perdre son regard,  le temps qui nous est accordé peut s’employer à plus utile, alors dépassant l’arbre sans plus le regarder il poursuivit son chemin le long de la falaise: La chaleur montait doucement, le vent d’autant agaçait, la rivière qui serpentait dans le bas traçait des méandres parfaits. Bientôt il  arriva sur le lieu de sa chute, évalua rapidement la longueur de corde qu’il attacha à un arbre et se mis à descendre en rappel  dans le puit.

C’était comme un lieu qu’il connaissait déjà, arriva en bas il déballa le matériel  et s’équipa minutieusement ; sa préparation  terminée, il alluma la lampe à acétylène boucla son casque  mis son sac à l'abri dans un coin  non loin de l’ouverture dans laquelle il allait pénétrer;  glisser tout d'abord sur le ventre pour explorer les premiers mètres qui paraissaient assez plats, ensuite à la faveur de sa lampe il pourrait juger de la manière de procéder pour la suite de la descente ; le passage était étroit mais suffisait pour laisser passer un homme, il progressait rapidement mais avec prudence car il ne devait pas oublier qu’il était seul est qu’un accident  pourrait lui être fatal, la moindre erreur pouvait se payer très cher.

La pente commença à s’accentuer signe que le passage arrivait peut être sur un éboulis. Luc s’arrêta, la lumière derrière lui disparaissait presque, un simple petit rond blanc, l’aventure commençait et l’adrénaline montait le long de son dos en sueur, il prit un spit et l’enfonça dans un morceau de roche qu’il jugeait suffisamment solide,  refit de même une vingtaine de centimètres plus loin pour y accrocher une corde; cette technique de l’amarrage sur « sptits » (chevilles auto perforantes employées dans le bâtiment) qui avait maintenant fait ses preuves; balayant la zone avec sa lampe  il noua avec beaucoup de soin une fine corde en nylon très résistante qu’il passa dans un des mousquetons en forme de huit  fixé à sa ceinture, cette corde lui servirait d’assurance en cas de problème ; deux précautions valaient mieux qu’une. Bon çà allait être la minute de vérité ; tenant  les deux longes fermement dans ses mains il se laissa glisser en arrière poussant sur ses fesses, bloqua le  descendeur Dressler - celui-ci remplaçait avantageusement la descente sur échelle souple,  et laissa filer sur le côté ses jambes, il descendit brusquement d’un mètre, la corde était maintenant tendue; les mains toujours solidement accrochées à la corde, il se dépêcha de prendre appui  avec ses pieds contre la paroi. Ouf le plus dur était passé, maintenant plaqué à la paroi il allait pouvoir observer son nouvel univers.

La lumière du casque se stabilisa lorsqu’il cessa de tournoyer le sol encombré de roches tombées du plafond empilées successivement n’était plus qu’à quelques mètres  lâchant peu à peu le descendeur il reprit sa descente  en rappel et atterrit sur le sol;  maintenant il n’avait plus qu’à tirer son sac et le faire glisser le long du mousqueton.

A l’affût du moindre son, il se mit aussitôt à explorer la grotte, la lampe balayait le rocher, constata rapidement que cette grotte était assez rudimentaire, il n’avait pas découvert un site préhistorique, qu’importe après tout ce n’était pas ce qui l’intéressait. L’endroit assez petit s’étendait un peu sur sa gauche, avisant un bloc de rocher qui formait comme un socle vide à peu près au milieu de la grotte, il y installa une bougie qui lorsqu’il l’eut allumée éclaira presque tout l’ensemble.
 Tous ses sens en affût, il entendait maintenant à nouveau le bruit de l’eau qui coulait, cela venait d’un peu plus loin de cette partie mal éclairé qui tournait légèrement vers la gauche comme un croissant ; vérifiant encore une fois que tout était bien en place pour le retour, il fit prudemment le tour du rocher en s’éclairant en plus d’une torche à main ; dans ces moments là, il redoutait toujours la présence d’un quelconque animal tapis dans l’ombre effrayé par son intrusion ; mais il n’y avait rien , cela finissait en cul de sac, le bruit de l’eau pourtant «était tout proche, il pouvait l’entendre distinctement. Luc se mit donc à explorer chaque recoin avec soin, à genou sur le sol il  sentit dans un renfoncement une petite chatière sous le rocher, s’étendit à plat ventre et tendit l’oreille. Pas de doute l’eau était bien de l’autre côté de ce passage. Il hésita un moment : fallait-il vraiment prendre le risque de s’introduire là seul ? Mais la tentation était trop forte et il n’allait pas abandonner si près du but, alors il commença de s’engager en rampant sur le ventre d’abord lentement pour pouvoir observer et jauger le conduit puis voyant que le rocher solide  faisait comme un conduit, il poursuivit sa progression en avant en glissant  comme un vers sur la terre rouge humide et fraîche.. Il déboucha bientôt dans un bruit de succion sur une autre salle plus petite mais beaucoup plus haute que la précédente, l’eau était là devant lui tombant en cascade, les gouttes étincelaient dans la lumière de son casque, il n’y avait plus rien qui le liait au dehors seule cette eau qui sortait de la roche argileuse presque rouge et qui filait  un peu plus bas dans une excavation  en forme de bassin:

Dans les entrailles de la terre mère il redescendait au plus profond de lui son corps et son esprit s’engourdissait, une envie d’éteindre sa lumière , de s'unir à ces ténèbres de s’envelopper de l’ombre:  Devenir aveugle comme une taupe   se laisser bercer par le son de cette eau pour mieux la suivre dans les profondeurs alors  il reviendrait peut-être dans le ventre de sa mère  et une nouvelle vie commencerait comme une renaissance, et dans un cri il rejaillirait au jour  à nouveau dans une explosion de lumière.

C’était peut-être çà la grande métamorphose de la réincarnation. Lorsqu’on est sous terre les notions de temps s’estompent, il le savait debout devant la cascade, tendit la main et s’aspergea un peu le visage afin de reprendre ses esprits et puis porta ses mains en avant comme un calice pour goûter cette eau pure qui sortait des entrailles de la terre, le liquide glacé qui glissait en lui comme de l’acier le liait désormais à cet endroit, c’est ici prés de cette source de jouvence qu’il désirait vivre.

Le temps passait trop vite, il fallait partir malgré l’envie de rester et de se fondre dans cette argile tendre et grasse, en plongeant ses mains dans la glaise il en retira une boule souple d’une couleur ocre rouge très prononcée  qu’il rangea dans une poche plastique, elle serait le témoin de sa venue ici. Détachant ses yeux de la fontaine il revint vers le passage et s’enfonça à nouveau dans le goulot étroit du retour ; il allait quitter provisoirement cet endroit  qu’il garderait secret, pour lui maintenant tout était clair il reviendrait bâtir sa vie ici. La remontée grâce à l’échelle ne posa pas de problème et lorsqu’il sortit de la grotte le soleil était au midi  juste au dessus du puit , de gros nuages de plus en plus gris filaient dans le ciel , cette fois ci connaissant le chemin du retour il ne perdit pas de temps  pour s’extraire du trou   entièrement couvert de boue rouge, il s'extirpa de sa combinaison, pris des vêtements dans son sac et se changea pour faire le chemin du retour sans attirer l’attention...