John affalé sur le dos les bras grands ouverts avait bien de la peine à ouvrir un œil. Un mal de crâne le clouait littéralement sur son lit. Derrière son front épais se livrait une immense bataille - de grands éclairs blancs et noirs zébraient un gros bouillon rouge orangé. Chaque décharge répandait des vagues brulantes qui roulaient jusqu’à ses paupières. En deux mots, John avait ce que l'on appelle communément: La gueule de bois.
Le soir d'avant, il avait voulu, après des mois et des mois entiers d'abstinence, célébrer l'anniversaire de son fils. La soirée s'était terminée très tard au fond de l'arrière cuisine.
Assis autour d'une petite table avec les derniers irréductibles en compagnie d'une bombonne de cinq litres de gnôle maison, John avait levé et relevé son coude engloutissant un nombre incalculable de petits verres. Ses vieux copains, pendant ces quelques heures avaient essayé de lui raviver la mémoire en évoquant d'anciens souvenirs et John les avait écouté en picolant.
A un moment, il s'était senti comme dans une vieille locomotive qu'il conduisait bon an mal an en tirant sur un manche - La loco filait dans la nuit, derrière il y avait les wagons. John ne savait pas au juste combien, il captait de vagues signaux dans un brouillard éthylique. Des infos des images les remplissaient et puis il les oubliait comme tous ces passagers qui montent et qui descendent.
Pendant longtemps, il avait fait de gros efforts - sa famille bienveillante autour de lui accrochait toutes sortes de petits bouts de papier un peu partout dans la maison pour qu'il puisse se rappeler...
Hier toute la famille était partie voter, il y avait énormément de monde au petit bureau de vote de Jacksonville - cela faisait longtemps qu'on n'en avait pas vu autant se déplacer pour une élection. John avait reçu un bulletin qu'il avait rempli machinalement: personne ne lui avait demandé ce qu'il avait voté - d'ailleurs il aurait été bien incapable de s'en souvenir.
Ensuite, il y avait eu l'anniversaire et parce que John avait dit que.
- Çà allait mieux.
Alors, on avait fêté ça dans les grandes largeurs.
L'alcool l'avait transpercé comme un coup de poignard. Son esprit se déchirait en lambeaux, parfois il reconnaissait des événements passés, des brides d'images qui s'empilaient les unes sur les autres. Des souvenirs surgissaient sans qu'il puisse les reconnaître ou les analyser.
On lui avait expliqué que cela arriverait un jour ou l'autre. Ses neurones allaient se reconnecter , mais ce serait difficile à vivre.
Il contemplait à présent des images terribles: Des gens qui criaient au bord des routes, certains allaient à pied sans chaussures. D'autres sortaient de leur voiture, comme on sort de son lit, les yeux bouffis d'un mauvais sommeil.
Il regarda pendant un moment une femme qui se lamentait dans une misérable chambre de motel. Elle venait de travailler une dizaine d'heures pour retrouver enfin ses deux enfants devant la télévision dans cette misérable chaumière. Dans l'impossibilité de cuisiner, ils partageaient une énorme pizza dans une boite qui servait de table, assis tous ensemble sur le lit.
- Qui étaient tous ces gens ?
Soudain tout s'éteignit dans la tête de John comme une chanson qui s’arrête, un interrupteur qu'on coupe. John ouvrit un œil puis l'autre, le bourdonnement de la télé allumée depuis plusieurs heures emplit la pièce. John se concentra sur le speaker qui parlait.
- Le nouveau président des États Unis déclarait d'une voix assurée qu'il serait le président de tous les les américains.
John se redressa difficilement dans une position semi-assise fixant incrédule l'écran TV. Les portes de son esprits s'étaient à nouveau refermées, sa perception était celle d'un encéphalogramme plat, il retomba peu à peu dans un état de prostration râlant et rotant quelquefois. Un petit filet de bave coulait le long de sa joue sur son menton.
La tempête s'était levée et les volets claquaient devant la fenêtre, il n'avait pas la force de se lever restant l'a prostré. Plus rien n'avait d'importance, il avait un peu mal au ventre...
phildid