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mercredi 30 mars 2022

Dimanche 15 Avril 2012 à 8h08



Je profite du calme relatif de ce lundi matin pour vous relater cette histoire presque extraordinaire qui m'est arrivée à l'hôpital central de Dreux la semaine dernière.
Dans la nuit du vendredi au samedi, j'étais de garde cette nuit là quand on amena en urgence sur un brancard un type presque mort - Tentative de suicide. Le gars avait été transpercé de part en part par une balle de pistolet.
En quelques minutes le service fut en ébullition, la procédure habituelle se mit en place. Je repris donc ma qualité d'infirmier après les manipulations des urgentistes, je poussai donc le brancard vers la salle d'opération. Ensuite, n'y pensant plus, je repartis tout naturellement vers la salle de garde pour boire un café.


Le reste de la nuit se passa sans autre incident, hormis les traditionnels petits bobos. Par contre: Quelle ne fut pas ma surprise au petit matin lorsque le service de jour débuta, en traversant le couloir central quand je vis dans une chambre le type de la veille assis sur le bord du lit en train d'enfiler difficilement son pantalon. Il n'avait pas l'air très en forme mais déjà presque convalescent. J'entrai dans la chambre, lorsqu'il me vit, la première chose qu'il me demanda en me regardant d'un air mauvais c'était, ou étaient ses chaussures. J'essayai de le raisonner mais le gars ne m'écoutait pas, il continuait de s'habiller en maugréant qu'il voulait partir; je dus signaler rapidement cet état de fait  à l'infirmière en chef qui après s'être copieusement fait rabrouer par le type, lui fit finalement signer une dérogation pour sa sortie. Il quitta l'hôpital dans le petit matin, je n'avais encore jamais vu un phénomène pareil.

Smiroton car tel était son nom se retrouva dans la rue. La température était descendue bien en-dessous de zéro, il avait froid, de la vapeur presque bleue sortait de sa bouche. Pour se réchauffer il marchait vite. Il finit par rejoindre sa petite chambre qui heureusement n'était pas loin de l'hôpital. Il se coucha et dormit toute la journée terrassé par son expérience de la veille, abasourdi, il venait de s’enfoncer dans un sommeil profond sans rêve.
Le lendemain il se réveilla un peu hagard dans l'après midi. Avant de se lever, allongé sur le dos il se mit à palper son corps. C'était certain, il n'était pas mort, il était vivant, le seul souvenir en dehors du moment ou il avait reçu la balle dans le ventre et le grand éclair blanc qui avait suivi était cette cicatrice qu'il portait sur le côté. C'était bien la preuve que la balle était passée par là, qu'elle en était bien ressortie par l'autre côté sans toucher aucun organe vital.
Il se leva, but un thé brulant. Sa petite chambre était glacée, le thé dégageait un agréable petit nuage de vapeur, tout tremblant en enfilant ses vêtements, il voulu chasser ce mauvais cauchemar de son esprit. Il se rassura en se disant:

- Après tout j'ai eu de la chance, je suis en vie, et c'est ce qui est le plus important. Alors il décida promptement car on était samedi, qu'il irait chez la comtesse de Beaulieu, il ne la connaissait bien sûre pas personnellement mais en tant qu'écrivain poète, son salon lui était ouvert.

Le jour entrait timidement dans sa petite chambre sous les toits de Paris, un rayon de soleil barra son visage terne et fatigué, le ciel était bleu sans nuage mais la température restait glaciale. Hâtant le pas pour se réchauffer, c'est en courant presque qu'il rejoignit le 19 de la rue des colchiques dans les prés, monta rapidement les marches du grand escalier, présenta le billet rose que la comtesse avait écrit pour lui un beau dimanche d'été qui stipulait en quelques lignes qu'on le laissa passer en sa qualité d'écrivain poète. Le grand escogriffe en frac rouge qui gardait la porte le laissa donc pénétrer dans le salon sans difficulté aucune et finalement aspiré par une grande bouffée de chaleur, il pénétra dans le grand salon de la comtesse.
Quelle chaleur ! Un poêle énorme thermos-nucléaire trônait au centre de la pièce dégageant un rayonnement presque insupportable pour Smiroton qui était habitué à la froideur. Après le froid glacé de la rue des gouttes de sueur brûlantes coulèrent dans son dos.  La comtesse Margarete était là dans une robe de gourgandine noire magnifique, elle rayonnait littéralement, son mari Philippe de profil se tenait à ses côtés vêtu d'un smoking impeccable lui tenait légèrement le bras - On voyait bien que c'était un grand acteur de théâtre. Smiroton plus qu'impressionné restait là sans voix admirant le couple qui discourait à la ronde en souriant.
Smiroton se décida sans tarder à présenter ses hommages mais au moment ou il s'avançait, un grand noir lui barra le passage s'interposant entre lui et les Beaulieu avec un large sourire sur le visage qui découvrait une dentition blanche impeccable. Smiroton eut vite fait de reconnaître le grand Omar Si, l'acteur vedette du moment. Omar Si serra tendrement Margarete dans ses bras puissants sous le regard amusé de Philippe.de Beaulieu: On entendait partout de grands éclats de rire, l'assemblée devenait de plus en plus joyeuse. 

De manière presque mécanique, Smiroton attrapa un petit verre d'alcool blanc posé sur un plateau, le but d'un trait. Sa blessure se remit à le faire souffrir, il dut se tenir le côté un instant pour ne point défaillir, un moment sa vision s'embrouilla et lorsqu'il reprit enfin ses esprits il s'aperçut que le salon s'était fortement rempli, de plus en plus de gens arrivaient. Alors qu'il reprenait un petit verre d'alcool pour se redonner du courage, il reconnu enfin quelqu'un qu'il connaissait un peu: C'était An-nielle de Poulestar. En quelques enjambées il fut bientôt près d'elle, il la salua le plus aimablement possible.

- Bonjour ma chère An-nielle, comment vous portez-vous ?

An-nielle était une dame à la personnalité très prononcée, elle n'avait pas sa langue dans sa poche comme on disait un peu vulgairement dans le milieu, elle savait juger rapidement de ce qui était bon de ce qui ne l'était pas. Son jugement basé sur des valeurs très ancrées dans un consensus rigoureux lui valait le respect indéniable de la profession, elle le toisa de la tête aux pieds pour dire abruptement.

- Tiens, vous êtes là vous !

Smiroton mal à l'aise décida de s'éloigner sans chercher à comprendre. An nielle ne s'en offusqua guère, elle fit remarquer à Philibert Hachette qui se tenait à côté d'elle rangeant sur une table en les alignant soigneusement toute une série de grands couteaux plats. ( An-nielle dit tout bas à Philibert.)

- je ne vois vraiment pas ce que je fais ici, je voulais juste en avoir le cœur net, vous ne pensez pas que c'est un peu n'importe quoi ?

Philibert qui faisait attention à ne pas se couper dit juste que de toute manière, çà allait s'arrêter sous peu et que cette farce serait bientôt révélée en tant que telle au grand jour. Smiroton lui errait toujours au milieu des groupes dans le salon, il avait bu plusieurs verres et sa cicatrice ne le faisait plus souffrir, s'éloignant d' An-nielle et de Philibert, il s'assit nonchalamment sur un petit tabouret près de la porte d'entrée dégustant un petit pâté à la viande qui réchauffa son pauvre estomac vide, en même temps il observait avec amusement de son œil de poète aguerri une grande fille filiforme qui venait d'arriver près de la table ou Philibert Hachette rangeait ses grands couteaux plats. Elle portait dans ses bras deux énormes ananas, elle était vêtue d'une grande djellaba blanche, son costume la faisait ressembler à une actrice de Bollywood. An-nielle lui sourit, elle lui lança comme çà à brule pourpoint.

-Vous devez aimer les pays lointains, çà se voit.
 
La grande fille lui sourit sans parler elle déposa les deux ananas sur la table prés de Philibert qui commença à les découper méthodiquement en tranches égales.
A ce moment là il y eut comme un énorme coup de tonnerre, les deux battants de la porte d'entrée s'ouvrirent d'un coup largement,  je faillis être renversé.
Comme un coup de théâtre le capitaine de l'Haridelles fit une entrée époustouflante suivit et encadré de son petit état major de campagne qui ne le quittait jamais; il était en grand uniforme de commandeur et sa carrure impressionnante ne laissa personne indifférent. Je finis rapidement mon petit pâté à la viande en déglutissant me levant du tabouret tout en m'essuyant la bouche avec un mouchoir.
Je me retrouvai par hasard à la droite du capitaine, les mains derrière le dos, la tête légèrement baissée, j'écoutais le capitaine discourir avec son cercle d'amis qui s'agrandissait de plus en plus autour de lui -Terrinos l'agile, Axagore le théoricien, Suantoutsoneau, Daniela et pic de la Carambole plus encore quelques autres que je ne connaissais pas - Tous étaient là debout fièrement et l'écoutaient avec attention; même Philibert Hachette cessa un moment son travail de rangement pour venir le saluer humblement. Le capitaine plaisantait en distribuant à la ronde de gros cigares, il m'en offrit un également sur lequel j'aspirai maladroitement réveillant d'un coup ma blessure au côté. Les rires fusaient de toute part, un gros nuage de fumée nous enveloppait, ma cicatrice me tirailla de nouveau  je fus pris d'une forte envie de rendre la nourriture et la boisson que j'avais ingurgité. L'esprit ailleurs  le corps en déroute, mes yeux  fous navigaient sur les grandes toiles partout accrochées aux murs du salon.
C'étaient des portraits de gens plutôt grands peints en bleu avec des oreilles pointues - De la peinture figurative contemporaine moderne. Les personnages fuyaient en courant dans de grandes forêts colorées façon Douanier Rousseau à la poursuite de monstres pas très terrifiants. En m'approchant pour examiner un peu plus les détails, je remarquai que sous chaque tableau il y avait un prix très important et surtout une légende ou il n'y avait qu'un seul mot d'écrit :-CAUSONS  CAUSONS :-CAUSONS :-CAUSONS :-CAUSONS  CAUSONS.
C'était très surprenant. Mon ventre me tiraillait de plus en plus mais j'essayais de ne pas y penser; assis à l'écart je me mis à consulter les nombreux livres de poésie éparpillés un peu partout sur les tables en me disant secrètement que peut-être j'allais en trouver une qui conviendrait à cette journée et que je pourrais subitement déclamer avant la fin de la soirée, mais c'était difficile, mes yeux un peu ivres fixaient sans cesse Marguarete de Beaulieu plus belle que jamais, elle resplendissait désormais dans un cercle de vedettes du cinéma toutes très en vogue - Katarina Eviard—Emmanuelle Breart  Céline Drion et bien d'autres encore un peu moins connues. Gérad Pugnot était là aussi, il était rigolard comme à son habitude tout le monde pouffa de rire quand il dit subitement:

- je me demande bien ou est le directeur des cabinets ?  C'était tellement chou.

Philippe de Beaulieu lui s'était un peu écarté du groupe, sa nature de scientifique ne le portait pas trop à la grande rigolade, il aimait l'humour mais plutôt noir,  il préferrait les proverbes ou les gens qui faisaient des mots d'esprits et puis son boulot de médecin ne lui laissait pas beaucoup de temps il avait tant à faire. D'ailleurs Leibnitz n'avait-il pas dit que la pensée fondamentale et transcendantal serait l'avenir de l'homme, croyez-moi, à chaque fois qu'il voyait un patient et ils devenaient de plus en plus nombreux les patients - Des cas de plus en plus bizarres, il devait littéralement se concentrer au maximum de toutes ses forces pour émettre le bon diagnostic. C'était de plus en plus difficile mais pas insurmontable. Malgré tout, on voyait de plus en plus de gens qui se baladaient en sous-vêtements ou d'autres qui se prenaient pour Jeanne D'arc ou bien napoléon ou Robespierre ou je ne sais quoi encore. La période que nous traversions actuellement était vraiment une période difficile  on devait vraiment mobiliser toutes ses qualités intellectuelles et morales pour solutionner les cas les plus extrêmes. Mais bon c'est le métier qui voulait çà - Être médecin après tout c'était comme un sacerdoce et puis c'était pas mal payé malgré les heures.
Smiroton pensa à quel point Philippe était devenu important en le voyant parler et professer au milieu d'une assemblée de gens toujours plus importants qui comptaient énormément pour la science actuellement. Philippe s'adressa soudain à Vulgarus Pecus.

- Croyez-vous vraiment que le but ultime pour une évolution de l'espèce vers un développement durable puisse être envisagée dans peu de temps ?

Vulgarus Pecus le regardait presque sans voix, un peu gêné par cette question si importante qui dépassait de loin son entendement, il répondit quand même que.

-Non il ne pensait pas.

Alors Philippe encouragé par cet assentiment continua à discourir abattant une à une les thèses et les antithèses de ceux qui luttaient encore pour la compréhension d'une pensée relative et substantielle.

- Ça ne sert à rien,  dit Philippe.

- Laissez tomber ou partez vers des pays lointains cueillir des ananas.

Cette dernière remarque détendit l'atmosphère un peu lourde qui s'était installée dans le groupe de savants. AH AH AH AH Ar AH AR AH R AR AH. de toute façon les scientifiques n'étaient pas là ce soir pour se prendre le chou mais plutôt pour se détendre un peu les neurones.
Smiroton qui avait abandonné tout espoir de déclamer une poésie, mangeait tout ce qui lui tombait sous la main; il se contentait d'observer comme un guetteur les groupes qui se faisaient et se défaisaient. Jérôme et Françoise venaient d'arriver, ils embrassaient tendrement tour à tour Margarete qui les félicitait chaleureusement devant tout le monde pour leur récent mariage dont la cérémonie et la fête qui s'était ensuivit avaient été très réussies. Elle les présenta à Béata qui fumait cigarette sur cigarette, Beata conseillait à Françoise un haut très saillant qu'elle lui montrait dans un grand magazine de mode.
C'est à ce moment que Smiroton en profita pour s'approcher de margarete, son cahier de poésie à la main - Lorsqu'elle le vit arriver Margarete interrompit un instant sa conversation en cours, posa délicatement sa flute de champagne rosé sur le petit guéridon. Smiroton ouvrit son cahier en levant un doigt en l'air comme pour imposer le silence. Mais Margarete le regard dur fixa le bas de son pantalon. Smiroton baissa la tête honteux sur son pantalon trop court qui découvrait une paire de chaussettes rouges tirebouchonnées. Il rougit d'un coup et fut pris d'une grosse chaleur, laissant tomber le cahier à ses pieds il s'éloigna complétement troublé pour se cacher un moment dans les toilettes.
Cet incident passa presque inaperçu, on avait l'habitude ici dans ce salon de grande tenue intellectuelle de ce genre d'hurluberlu. Jérôme semblait un peu distant, il regardait nerveusement autour de lui, il vit Philibert Hachette qui le regardait du coin de l'œil  en rangeant ses couteaux plats.
On vit soudain passer l'ange Gabriel qui ne manquait jamais une occasion pour animer le salon soit en s'accrochant des ailes dans le dos soit en promenant son canaris en laisse en essayant de lui faire dire un mot spirituel. Ça faisait toujours rire les invités. Gaby comme tous le monde l'appelait était presque devenu indispensable à l'animation du petit salon.

TDV (Tête de Vienne) était là aussi; grande critique littéraire et cinématographique, elle n'hésitait pas à hacher menu tout ce qui ne trouvait pas grâce à ses yeux, elle était crainte dans tous les milieux artistiques car elle faisait un peu la pluie et le beau temps. Bien sûre, il y avait aussi toute une brochette de piétons comme on disait dans le métier, tous ces gens qui musardent en meublant les salons.
Smiroton décida que c'était assez pour aujourd'hui, avec en plus les événements de la veille il ne se sentait vraiment pas bien du tout, en plus il voyait bien que pour la poésie aujourd'hui c'était raté. Alors il s'esquiva comme il était venu sans bruit ni fracas à pas feutrés.
La rue avec le vent glacial le happe à nouveau, il s'enfuit plus qu'il ne marche, arrivé devant chez lui, il grimpe les marches de l'escalier quatre à quatre, s'enferme dans sa chambre pour dormir, c'était pensait-il une journée à oublier.


phildid