« …Il
regarde en arrière, non pas glacé d’étonnement et dans l’épouvante, mais tel
Orphée se retournant vers Eurydice; Car les paroles qu’elle chante sont si
délicieuses…Qu’il lui semble en être amoureux depuis tout un été. » Lamie
/ John Keats)
Depuis plusieurs jours
Maurice Boulchequel s’est installé à
l’hôtel du relais St Anne. Chaque jour il fait le trajet vers la chapelle Notre Dame ou il
passe plusieurs heures dans la pénombre ponctuée de lumières rouges aux pieds
de la statue de la vierge noire, Notre Dame de Rocamadour - C’est une Vierge
Mère soutenant l’Enfant Jésus sur ses genoux, elle trône au dessus de l’autel.
Tous deux, Mère et Enfant, hiératique, les yeux clos, semblent, selon
l’expression de Malraux, « écouter leurs extraordinaires -malades guéris,
prisonniers libérés, marins sauvés du naufrage ».
Maurice rentre ensuite à pied
à son hôtel. Arrivé dans sa chambre il se sert un grand verre de whisky encore
tout absorbé dans sa méditation et puis généralement il s’endort. Il plonge
dans le sommeil comme on plonge dans une eau profonde en glissant doucement
sans voir, absorbé par la nuit comme une ombre. A ce moment précis il ne pense
plus à rien. Dans le sommeil son âme, telle une éponge pleine d’humidité, s’est
détachée du feu-follet vivant du jour, a peine conscient qu’il flotte hors de
son appartement.
Pourtant d’un coup, il se met
à accumuler des pensées et des sentiments de plus en plus hostiles. Alors que
son talon touche le fond d’un
ancien cratère, donnant une impulsion à
son corps qui remonte vers le haut. Voilà que son esprit se met à fonctionner à
toute vitesse. Il est face à un dilemme
qui le sépare de ce qu’il appellera : La vérité et les valeurs de la
vérité.
La confusion se dit-il entre
la vérité et la valeur qui remonte à la philosophie antique s’est poursuivie
jusqu’à nos jours et ni la religion ni la science n’ont pris conscience du
problème. C’est à ce moment crucial de sa réflexion qu’il refait surface dans
un appel d’air qui emplit de nouveau ses poumons. Il suffoque, l’angoisse le noue,
elle lui serre l’arrière du crâne avec le sentiment d’insécurité de n’être pas
chez soi, ce doute qui l’a conduit peu à peu à l’épuisement autant physique que
moral, il le sent a l’intérieur de son crâne, une main qui broie son âme avec
la sensation qui l’empêchera définitivement de sombrer dans les bras de
Morphée.
C’est une angoisse consciente d’elle même qui peut rapidement mener à la panique, elle a surgit ou plutôt resurgit dans l’instant comme une bête tapie qui resurgirait de manière inopinée.
C’est une angoisse consciente d’elle même qui peut rapidement mener à la panique, elle a surgit ou plutôt resurgit dans l’instant comme une bête tapie qui resurgirait de manière inopinée.
Dans la pénombre de sa
chambre, il tire à lui un cendrier bien rempli et allume une cigarette, son
briquet s’éteint comme un soleil qui meurt. Par la fenêtre ou pourtant il fait
nuit noire, il croit apercevoir un couple de tourterelles qui se fuient. Ses tempes
le font beaucoup souffrir et il peut entendre les battements de son cœur qui
s’accélèrent, une violente et méchante toux déchire sa poitrine - Le nuage de fumée bleuâtre lui pique les yeux. Il
voudrait revenir en arrière dans ses souvenirs mais c’est comme si la barque
qui l’avait transporté jusque là était repartie sans lui. Au fond de sa bouche
ne reste qu’une eau laiteuse teintée de relents de tabac et mélangée d’alcool
fortement anisé.
Maurice gravit péniblement
les escaliers qui mènent à la salle de bain, le bourdonnement dans son
crâne ne cesse de gronder noyant ses
pensées; la fumée qu’il exhale fait un halo autour de lui - La fenêtre du
haut, il faudrait l’ouvrir, faire rentrer un peu de fraîcheur. Il tousse de
nouveau, un vide déconcertant l’envahit tout entier, le forçant à s’arrêter
pour reprendre son souffle. Maintenant ce vide s’accompagne de répugnance vis-à-vis de lui-même.
En arrivant sur le seuil de
la salle de bain, la peur cette fois-ci le submerge tout entier, la peur de se voir tel
qu’il est défait vieilli, de voir dans son regard, d’y découvrir les
stigmates d’une inconcevable horreur avec laquelle il aurait pris rendez-vous.
Pour la première fois il réalise qu’il est bien réveillé, il perçoit nettement
autour de lui le mouvement de l’air froid. Il ne rêve plus, en frissonnant il
commence à comprendre qu’il s’est passé quelque chose et cette chose lui est
tombée sur l’estomac.- Son ventre est
dur, on l’a sûrement empoisonné à son insu. Des images sans suite défilent
devant lui, des visions chaotiques de la ville. Alors qu’il tremble de plus en
plus et que son rythme cardiaque s’accélère, il parvient tout de même à trouver
l’interrupteur découvrant enfin son visage ruisselant de sueur devant le
miroir sur lequel est écrit en rouge vif
avec du rouge à lèvres ces quelques mots:
- « Pour qui te mires
tu, contre qui te mires tu ? »
phildid
phildid