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vendredi 31 décembre 2021

Maurice Boulchequel



« …Il regarde en arrière, non pas glacé d’étonnement et dans l’épouvante, mais tel Orphée se retournant vers Eurydice; Car les paroles qu’elle chante sont si délicieuses…Qu’il lui semble en être amoureux depuis tout un été. » Lamie / John Keats)
Depuis plusieurs jours Maurice Boulchequel  s’est installé à l’hôtel du relais St Anne. Chaque jour il fait le trajet vers la chapelle Notre Dame ou il passe plusieurs heures dans la pénombre ponctuée de lumières rouges aux pieds de la statue de la vierge noire, Notre Dame de Rocamadour - C’est une Vierge Mère soutenant l’Enfant Jésus sur ses genoux, elle trône au dessus de l’autel. Tous deux, Mère et Enfant, hiératique, les yeux clos, semblent, selon l’expression de Malraux, « écouter leurs extraordinaires -malades guéris, prisonniers libérés, marins sauvés du naufrage ».

Maurice rentre ensuite à pied à son hôtel. Arrivé dans sa chambre il se sert un grand verre de whisky encore tout absorbé dans sa méditation et puis généralement il s’endort. Il plonge dans le sommeil comme on plonge dans une eau profonde en glissant doucement sans voir, absorbé par la nuit comme une ombre. A ce moment précis il ne pense plus à rien. Dans le sommeil son âme, telle une éponge pleine d’humidité, s’est détachée du feu-follet vivant du jour, a peine conscient qu’il flotte hors de son appartement.
Pourtant d’un coup, il se met à accumuler des pensées et des sentiments de plus en plus hostiles. Alors que son talon touche le fond d’un ancien cratère, donnant une impulsion à son corps qui remonte vers le haut. Voilà que son esprit se met à fonctionner à toute vitesse. Il est  face à un dilemme qui le sépare de ce qu’il appellera : La vérité et les valeurs de la vérité.
La confusion se dit-il entre la vérité et la valeur qui remonte à la philosophie antique s’est poursuivie jusqu’à nos jours et ni la religion ni la science n’ont pris conscience du problème. C’est à ce moment crucial de sa réflexion qu’il refait surface dans un appel d’air qui emplit de nouveau ses poumons. Il suffoque, l’angoisse le noue, elle lui serre l’arrière du crâne avec le sentiment d’insécurité de n’être pas chez soi, ce doute qui l’a conduit peu à peu à l’épuisement autant physique que moral, il le sent a l’intérieur de son crâne, une main qui broie son âme avec la sensation qui l’empêchera définitivement de sombrer dans les bras de Morphée.
C’est une angoisse consciente d’elle même qui peut rapidement mener à la panique, elle a surgit ou plutôt resurgit dans l’instant comme une bête tapie qui resurgirait de manière inopinée.
Dans la pénombre de sa chambre, il tire à lui un cendrier bien rempli et allume une cigarette, son briquet s’éteint comme un soleil qui meurt. Par la fenêtre ou pourtant il fait nuit noire, il croit apercevoir un couple de tourterelles qui se fuient. Ses tempes le font beaucoup souffrir et il peut entendre les battements de son cœur qui s’accélèrent, une violente et méchante toux déchire sa poitrine - Le nuage de fumée bleuâtre lui pique les yeux. Il voudrait revenir en arrière dans ses souvenirs mais c’est comme si la barque qui l’avait transporté jusque là était repartie sans lui. Au fond de sa bouche ne reste qu’une eau laiteuse teintée de relents de tabac et mélangée d’alcool fortement anisé.
Maurice gravit péniblement les escaliers qui mènent à la salle de bain, le bourdonnement dans son crâne ne cesse de gronder noyant ses pensées; la fumée qu’il exhale fait un halo autour de lui - La fenêtre du haut, il faudrait l’ouvrir, faire rentrer un peu de fraîcheur. Il tousse de nouveau, un vide déconcertant l’envahit tout entier, le forçant à s’arrêter pour reprendre son souffle. Maintenant ce vide s’accompagne  de répugnance vis-à-vis de lui-même.
En arrivant sur le seuil de la salle de bain, la peur cette fois-ci le submerge tout entier, la peur de se voir tel qu’il est  défait vieilli,  de voir dans son regard, d’y découvrir les stigmates d’une inconcevable horreur avec laquelle il aurait pris rendez-vous. Pour la première fois il réalise qu’il est bien réveillé, il perçoit nettement autour de lui le mouvement de l’air froid. Il ne rêve plus, en frissonnant il commence à comprendre qu’il s’est passé quelque chose et cette chose lui est tombée sur l’estomac.- Son ventre est dur, on l’a sûrement empoisonné à son insu. Des images sans suite défilent devant lui, des visions chaotiques de la ville. Alors qu’il tremble de plus en plus et que son rythme cardiaque s’accélère, il parvient tout de même à trouver l’interrupteur découvrant enfin son visage ruisselant de sueur devant le miroir  sur lequel est écrit en rouge vif avec du rouge à lèvres ces quelques mots:
- « Pour qui te mires tu, contre qui te mires tu ? »

phildid