Luc arriva à l'abbaye de Saint Papoul sur les coups de midi, sous un beau soleil, un énorme ciel bleu recouvrait le village et ses environs. Le vent était frais et même si le paysage était encore vert, le mot sécheresse était sur toutes les lèvres.
Dans le train il avait suivi la cérémonie d'adieu à Robert Badinter, ce grand homme affamé de justice sociale qui avait au travers de plusieurs ouvrages littéraires raconté son histoire en même temps que celle qui se faisait, ce que Ernst Bloch appelait: la non-tempolarité.
Cet homme au passé chargé d’expériences douloureuses dont la mémoire conservait intacte les souvenirs d'un passé jamais oublié. Sa flamme ne s'est jamais
éteinte, il part en laissant une lumière pour les futurs générations.
Luc avait entendu parler de Saul, des gens l'avaient vu ces
derniers temps prêcher pour son Maître Cet homme disait avoir senti comme un grand
chambardement, une sorte de tumulte intérieur très violent avec des
soubresauts dans tout le corps pareils aux débuts d'un tremblement de terre, résonants comme des
éclairs dans l’obscurité.
- Imaginez ! raconte Luc, Imaginez un corps pris de spasmes,
secoué par une force invisible. Les muscles se contractent, les nerfs
s’embrasent, et tout à coup, le silence est brisé par ce mouvement
brusque. Soudain. C’est comme si l’âme elle-même cherchait à
s’échapper de sa prison charnelle. Une vérité sur le point d’éclater.
Plus que jamais il clamait et annonçait la résurrection de l'homme
nouveau.
Sur le chemin du centre culturel, Luc découvrit, dans la découpe bleu
du ciel, l'immense sculpture du Monument aux Morts de Cabestany devant
le Parc de la Victoire.
La tierce sonna au clocher, le doux
carillon de l’église Notre-Dame-des-Anges marquait le passage du temps
dans ce charmant village des Pyrénées-Orientales en France. Que ce soit
au lever du soleil ou sous la lueur de la lune, le clocher de cette
église romane célèbre pour son tympan réalisé par le Maître de
Cabestany, vibre et résonne encore toutes les heures. Il veille sur la communauté, rythmant la vie quotidienne de
ses habitants.
A peine rentré dans l'église, il ouvre le livre de Miguel ressentant l'odeur de papyrus boisée des pages qui craquent comme des feuilles jaunies. Marc vint à lui et lui dit que Marie et les autres n'ont rien dit à personne, « car elles avaient peur » - ce sont les derniers mots de son récit. Mathieu dit qu'elles sont allées trouver les autres à qui leurs propos ont paru incroyables. Or à en croire les paroles de Philippe, ceux qui l'avaient suivi de son vivant espéraient, évoquaient cela comme un fait allant de soi connu de tous. Miguel est partout dans le livre, le recueil est très court. Certains passages ont été soulignés annotés au crayon de calame, j'imagine que Luc cherche des signes dans le livre, cette idée me bouleverse. Elle évoque les années où tout était possible, la grâce de la rencontre et les joies minuscules.
Luc n'écoutait plus, il se concentrait sur les lignes du livre qui parlait d'une guerre lointaine de quelques siècles