Quand Charles entra dans le bar du centre de Bernay vers 11h00 du matin, il ressentit aussitôt une atmosphère pesante. Les habitués levaient le coude en silence les yeux rivés sur l'écran de BFM TV accroché dans un coin qui diffusait encore en boucle les infos sur l'attentat à Paris de la veille. Un cinglé avait de nouveau poignardé plusieurs personnes samedi soir vers 21h00 dans le 3ième arrondissement. Comme les fois précédentes, on ne savait pas grand chose mais le mode opératoire lui restait le même.
Jacques Dubreuil debout au comptoir fit un signe amical à Charles qui se dirigea vers le zinc. Jacques fit les présentations.
- Charles, Philippe Labro premier adjoint au maire, lui et son frère sont concessionnaires auto. Bon on va y aller maintenant, on boira un verre sur place.
Ils sortirent du bar et tous trois montèrent dans la voiture de Philippe une Mercedes rouge 360 auto.
Pendant le court trajet qui les menait un peu à l'extérieur de Bernay vers une sorte de grande esplanade, Jacques avait repris un air enjoué vantant le spectacle à venir.
- Vous allez voir Charles, c'est vraiment spectaculaire, un peu bruyant mais ça vaut la peine, je suis content que vous soyez venu, vous ne le regretterez pas et puis si vous voulez on fera une petite visite en fin d'après-midi chez le frère de Philippe, il a une très belle concession avec un modèle de SUV dont vous m'avez parlé: il devrait vous plaire, je crois que c'est vraiment une bonne occasion avec très peu de kilomètres au compteur et naturellement vous restez à la maison ce soir, vous êtes mon invité, Monique a prévu un truc sympa.
Charles se détendit à son tour en remerciant chaleureusement Jacques. On entendait déjà au loin de gros rugissements, des colonnes de fumée noires s'élevaient dans le ciel sur l'horizon par intermittence.
Philippe gara sa voiture dans le coin VIP, parla brièvement à un gars de la sécurité, ils se dirigèrent ensuite à pied vers une grande piste en terre battue bordée de deux tribunes de spectateurs de chaque côté. Il y avait déjà pas mal de monde, un speaker annonçait un départ dans un gros mégaphone. Le bruit devenait assourdissant pendant que la clameur des spectateurs enflait à son tour. Il s'agissait d'une démonstration de tractor-pulling, un phénomène venu des USA comme souvent. Bernay depuis plusieurs années devenait la référence en France. Ce n'était pas une compétition mais bien plutôt une démonstration de force: on était passé du local au national et bon nombre de compétiteurs venaient d'une autre région souvent c'étaient des pilotes représentant de très grosses exploitations, il y avait même pas mal d'Européens d'Allemagne de Hollande et aussi un polonais. Jacques mit sa main en porte-voix en se penchant vers l'oreille de Charles.
-Vous savez, on se doit d'être là, il y a beaucoup de gros agriculteurs qui sont clients chez nous pour les produis phyto et pour Philippe aussi c'est tout bénef. Après ce genre de démonstration les gens viennent souvent acheter des grosses cylindrées, ça booste les ventes d'autant plus qu'il ne se passe pas grand chose par ici, c'est devenu l'évènement de l'année, il y a toujours moyen de faire quelques photos avec les officiels - tiens, voilà Marc le journaliste de France 3 Loire. Jacques prit Marc par le coude.
-Venez Marc, vous tombez bien, on allait justement voir Robert le maire de Bernay c'est l'occasion de faire deux trois clichés.
Au même moment un engin sur-gonflé dépassa la tribune. Les petites roues de devant se soulevaient, tellement la poussée du moteur était forte. L'engin crachait plusieurs colonnes d'épaisse fumée noire par une douzaine de pots d'échappement, il tractait une grande semi-remorque lestée d'un gros engin de chantier.
- C'est le principe dit Marc à Charles qui regardait bouche bée, c'est une sorte de tracteur avec un moteur gonflé à bloc avec de l’éthanol qui doit tiré sur plusieurs centaines de mètres une remorque bien chargée. Tous rigolaient bruyamment devant l'air ahuri de Charles. La petite bande se dirigea vers la tribune officielle.
phildid