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samedi 12 mai 2018

Vent sombre


Charles n'était plus qu'à une trentaine de kilomètres de Bernay. Ça lui avait pris une bonne heure et demi depuis Dreux par la D140. Il était parti assez tôt le matin sous un ciel couvert de gros nuages très gris derrière lesquels le soleil était resté caché. L'air était frais avec 13 degrés d'écart entre l'ouest et l'est du pays. Pendant presque tout le trajet, seul au volant, il avait écouté les nouvelles à la radio.

 Le président au fort de Briançon, dans sa tour d'ivoire devait méditer sur le comment et le pourquoi Trump l'avait niqué sur L'Iran ou çà allait être de nouveau le gros bordel pour parler poliment. Dans le fond il était d'accord avec Trump, les américains avaient leur gaz de schiste à écouler et on pouvait pas faire confiance aux Iraniens qui étaient partout à vouloir encercler Israël prêt à leur balancer des missiles, leur président fantoche piloté par les religieux n'était qu'un gouvernement de façade pour encourager le business avec l'Europe. Le président l'avait mauvaise, tout ça n'était pas bon pour sa cote de popularité d'autant plus que le conflit  avec la SNCF durait et se durcissait, qu'une grosse grève dans la fonction publique se profilait pour le 22 mai. Les autochtones devraient prendre leur voiture pour aller au boulot - le prix de l'essence allait grimper à la pompe, les français ne seraient pas contents et puis toutes nos entreprises de béton, de bagnoles, Total et compagnie qui allaient devoir plier bagage. L'Iran c'était pas un beau cadeau d’anniversaire. Charles s'en foutait, il avait assez d'argent pour remplir son réservoir. 

Depuis peu à la retraite,  c'était un scientifique reconnu par la communauté internationale. En bonne santé, il avait encore quelques belles années devant lui. De plus, il s'était constitué un véritable réseau d'anciens collègues chercheurs toujours en activité et puis son aura personnelle lui conférait un certain statut auprès de nombreux grands labos qui faisaient du lobbying en permanence. Avec les nouvelles technologies on pouvait communiquer rapidement et discrètement, tout allait plus vite.

Sur une aire d'autoroute, il passa un rapide coup de fil à Jacques Dubreuil DRH des laboratoires Ronbois pour le prévenir de son arrivée vers 11h00 - Rendez-vous fut pris au café du centre ville de Bernay un gros bourg d'environ 1800 âmes. Avant de raccrocher Jacques lui dit qu'il l'attendait en compagnie de Philippe Labro l'adjoint au maire et aussi qu'il avait une bonne surprise à lui annoncer.

Charles remonta dans sa voiture en sifflotant. Il ne ralluma pas l'auto radio, le paysage très vert était magnifique. Il songeait au futur SUV qu'il allait bientôt s'offrir, comme un pickup truck qui lui rappellerait sans cesse deux livres qu'il venait de relire - du polar ethnologique, de l'auteur Tony Hillerman,  dont l'action se déroulait dans les territoires indiens arides du sud de la Californie - des enquêtes de la police tribale Navajo avec des personnages auxquels on s'habituait très vite évoluant sur un territoire grandiose qui rappelait les grands westerns du far ouest avec des routes menant nulle part vers des Mesas lointaines auréolées de gros nuages violacés mais sur lesquelles il ne pleuvait presque jamais. 

Il y avait le lieutenant Jim Chee récemment promu à la place du légendaire lieutenant Joe Leaphorn, jeune retraité qui n'avait pas encore tout à fait raccroché les gants qui faisait toujours office d'autorité au sein de la police tribale. En général ils patrouillaient seuls dans ce territoire immense- une petite équipe qui travaillait toujours sur plusieurs affaires en même temps sans beaucoup de soutient de la part des autorités locales. Mais ce qui faisait leur force, c'était tout d'abord un bon contact avec les différentes tributs car ils appartenaient au peuple navajo et surtout une grand solidarité entre chacun d'entre eux qui glanait ici ou là tel ou tel renseignement susceptible de résoudre une des nombreuses affaires en cours. Ils se rencontraient souvent à un croisement de piste improbable dans une cafétéria station essence au milieu des "Four Corners"

On se passionnait assez vite pour leurs enquêtes, en immersion totale dans des paysages sublimes au fond des arroyos à chercher des traces. On contemplait avec eux les aigles qui planaient autour de black mesa. Tout ça sans ressentir les désagréments des grosses chaleurs ou de la poussière. Eux ils avaient l'habitude, nous on lisait tranquille. 
Charles aimait bien aussi Cowboy Dashee l'adjoint du sherrif de Cocomino - lui avait choisi la ville mais c'était un vrai Hopi descendant des Anasazis, pas un navajo. Son peuple s'éteignait et disparaissait peu à peu et les navajos héritaient des anciens territoires Hopis. Pourtant il avait les mêmes valeurs, les mêmes croyances envers le peuple indien.

phildid